Le lecteur appréciera dans ce billet à la date presque symbolique (un an avant une certaine commission, à deux jours près) l'antépénultième paragraphe particulièrement prémonitoire.


Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu'on puisse autant
S'amuser autour d'une tombe
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Si, si hombre, hombre
Baila, baila
Hay que bailar de nuevo
Y mataremos otros
Otras vidas, otros toros
Y mataremos otros
Venga, venga a bailar...
Y mataremos otros
Je ne me sens pas vraiment bien depuis hier.
Depuis cette explosion en vol d'un Marcel vitupérant, excédé, au bord de la rupture.
Dois-je pour autant me sentir coupable ?
Une phrase au mileu de ce flot désordonné de menaces, d'imprécations et de ras le bol m'a finalement touché. Parce que je suis quelqu'un qui doute. Qui doute constamment, non pas de l'autre, mais de moi. Et c'est parce que j'ai besoin de me sentir en sécurité, parce que j'ai besoin, pour être fort, de m'appuyer sur des fondations et des murs solides. Tout seul j''ai souvent pensé que je n'étais rien. Et que mon seul "talent" c'était parfois de pouvoir permettre aux autres de s'exprimer et de donner la pleine mesure de l'étendue de leurs qualités.

Tu es fait de 20% de compétences et 80% d'égocentrisme !
Au mileu de cette explosion de colère cette interpellation est arrivée, nette et précise. Pourquoi a-t-il dit ça, et pourquoi cela me perturbe-t-il autant... Est-ce qu'à force de vouloir jouer le personnage de quelqu'un de solide, parce que c'est ce que l'on attend de moi en tant que chef d'établissement, est-ce que je ne suis pas passé à côté de l'essentiel ? Est-ce que ce que je raconte ici sur mes questionnements est aussi limpide et lisse ? Est ce que le ciel est définitivement aussi bleu dès lors que je suis passé et que j'ai décidé ? Est ce que je ne confonds pas la vision de mon rôle avec celle d'un zorro de pacotille ?

80 % d'égocentrisme...
Ca me fait mal. Bien sûr j'ai fait des dérapages de Marcel une chronique à but ludique. C'est progressivement devenu grinçant. Parce que je n'ai plus été en mesure de trouver une approche humoristique à ces errances professionnelles. Je viens de relire certaines "aventures" et c'est du lynchage. L'impact est limité à une infime partie d'un monde restreint et virtuel. Mais il est loin le temps où je racontais les exploits de Marcel pourchassant un chat récalcitrant... Je ne réussis plus à être léger et, la côte d'alerte ayant été franchie, je ne suis plus à même de relativiser et de prendre du recul vis à vis de ma cohabitation avec Marcel.

Certes je ne suis pas responsable de lui, ni de son incapacité à évoluer. Certes j'ai alerté l'institution qui finalement me laisse bien seul tant qu'il n'y a pas d'erreur non rattrapable. La hiérarchie ne me sera d'ailleurs pas reconnaissante si je réussis à éviter qu'une voie d'eau majeure n'apparaisse.

Mais quand Marcel me parle de mes 80% d'égocentrisme, c'est une façon de me rappeler que pour faire avancer une galére, il faut que tout le monde rame dans le même sens. Et je ne le fais plus. Je ne fais rien pour l'aider. Je le piste. Je chasse. J'épie la faute. Je sonne l'hallali. Je ne tends plus la main alors que c'est maintenant qu'il faut le sortir de l'eau ou lui maintenir la tête hors du marécage.

Plus exactement ce n'est pas lui, Marcel que je dois couvrir d'une bienveillance complice et coupable mais c'est l'image du gestionnaire, donc de la gestion de l'établissement qui est en cause.

Je fais suffisamment souvent référence à la systémique, c'est à dire à cette approche du fonctionnement d'une institution, d'une administration, d'une entreprise fondée non pas sur les personnes mais sur les fonctions, pour ne pas admettre que je suis à côté de mes principes, aveuglé par l'image de ce Marcel le gentil intendant que j'ai façonnée comme une vulgaire marionnette.

Et je finis sans doute par donner l'image de quelqu'un d'arrogant, de hautain, de méprisant, droit dans mes bottes comme disait l'autre, au nom de la sacro-sainte bien que très laïque défense du service public d'éducation, aors qu'en fait il s'agit de l'exécution en règle d'un pauvre type dépassé par les évènements.. Egocentrisme parce que je m'identifie à l'image de mon bahut et que c'est pour le défendre lui, ses profs et ses élèves que je suis prêt à lapider, à lyncher, à jeter en pâture un de ses serviteurs. Piètre serviteur peut-être mais est-ce à moi de porter l'estocade ?

Egocentrisme c'est à dire oubli, voire mépris de l'autre pour ne penser qu'à soi. A son image, à son intérêt. En abandonnant Marcel en rase-campagne, je laisse les vautours tourner et se préparer à la curée. Je liquide en même temps une part fondamentale de l'idée maitresse qui doit prévaloir quand on est à la tête d'un établissement : la loyauté et la confiance qui doivent servir de façade, de rempart face aux tentatives de contestation de l'autorité représentée par l'image de l'équipe de direction.

Je sais que j'ai moi aussi commis une faute grave : lors du dernier Conseil d'Administration, excédé par l'incompétence affichée de Marcel j'ai dit publiquement que je me sentais quasiment en situation de voter contre mon propre budget. Mon aveuglement m'a fait oublier l'obligation du devoir de réserve. J'ai le devoir de servir l'établissement. Et de veiller à l'image de l'institution en public. Et pour la première fois sans doute j'ai franchi la ligne jaune.

Je l'ai écrit hier. Marcel est un animal blessé. Acculé dans sa tanière... Mais ce n'est pas à moi de porter le coup de grâce. A terme je ne suis pas sûr que ceux qui me soutiennent aujourd'hui, c'est à dire ceux qui me manifestent une certaine confiance dans mes attributions de chef d'établissement, ne me reprocheraient pas un jour également de m'être servi de la dépouille de Marcel comme d'un trophée.

En cela Marcel a touché juste en me taxant d'égocentrique. Je DOIS l'aider. Ou plus exactement je DOIS réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour faire que la gestion financière et matérielle de l'établissement soit saine. Marcel n'est qu'un instrument. Et je ne dois pas souhaiter qu'il lâche sous l'effort.